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Une expérience en atelier "chanter en choeur autrement".

Un Atelier de chant choral, c’est d’abord la découverte de sa voix et de celle des autres. C’est l’expérience de s’accorder pour chanter ensemble, d’en éprouver et d’en donner du plaisir.

On ne connaît pas immédiatement sa voix, on connaît d’abord celles qui ont accompagné notre venue au monde, elles résonnaient déjà dans le ventre maternel, et nous savions en différencier les timbres, les hauteurs, les mélodies. Avant de voir le monde et ses signes visuels, nous entendions des sons, et déjà une primitive polyphonie se formait avant notre naissance. Le plaisir de chanter ensemble est ancré dans cette toute première expérience.

Venant au monde, notre cri bouleverse tout : l’air entre dans nos poumons et le souffle qui s’installe et se rythme font entendre notre propre voix, nous apprendrons à la connaître en faisant l’expérience de toutes ses capacités et de toutes ses nuances : des pleurs de rage, de la douleur, des appels d’amour, de jeux de bouche, de langue et de lèvres qui inventent le gazouillis; nous entendons les réponses des voix premières qui mettent des mots sur nos émotions, avec lesquelles nous nous accordons dans ces duos qui nous émeuvent encore lorsque nous les entendons concerter entre une mère ou un père et leur bébé.

Nous imitons la voix et les sons et les sens : de bouche à oreille, par identification ; nous apprenons par imitation. Le chant se forme naturellement, avec la voix et avec ses transformations au cours de l’enfance et de l’adolescence et jusque dans l’âge adulte. La voix et le chant se modifient, et nous sommes chaque fois à l’écoute de notre voix et des sons que nous produisons, ou bien nous ne voulons rien entendre de ces changements. Nous les aimons, ou pas. Nous en jouons et nous en avons plaisir, ou bien nous nous retenons.

Pour mieux nous retenir de chanter et ne pas risquer sa voix devant les autres, nous préférons penser et affirmer que nous chantons faux. Souvent dès l’école. Et nous ne voulons pas en démordre, nous nous imprégnons de cette mauvaise idée, nous savons en donner la preuve. Chanter ? « mais c’est impossible ! » « faux, je chante faux ! ». Irais-je le proclamer dans une chorale, en éprouver de la honte et me faire rejeter ?

Lorsque j’ai participé à mes premières chorales, il fallait a priori chanter « juste », si possible connaître suffisamment de solfège pour savoir lire une partition, avoir une bonne mémoire musicale. Nous apprenions en même temps les paroles, à les savoir par cœur. Il fallait être de bons élèves, et les choristes regardaient plus souvent leur partition que le chef de chœur. Nous n’étions guère attentifs à notre façon de produire du son, et assez peu disponibles pour entendre les autres voix auxquelles se mêlaient la nôtre et « concerter » avec elles.

Pourtant ces chorales chantaient, donnaient des concerts, et celles auxquelles j’ai appartenu chantaient plutôt bien, avec émotion et justesse.

J’ai fait une autre expérience avec les Ateliers de chant choral. Toute notre concentration était fixée sur les gestes de base nécessaires à la production de sons, sur leur écoute en nous-mêmes. Pendant de nombreuses répétitions les paroles étaient reléguées à une approximation qui, notamment avec les langues étrangères, nous déplaisait, mais nous obligeait à donner la priorité à l’émission, à la communication et à l’écoute du son. On peut vivre cette manière de se mettre en travail comme difficile, coûteuse et quelquefois décourageante. Mais chacun peut faire cela s’il sait renoncer à tout maîtriser, s’il trouve suffisamment de plaisir, s’il consent à se laisser imprégner par cette enveloppe sonore qui se construit en lui et assure sa sécurité, ce qui signifie accepter la déstabilisation. Sans déséquilibre, sans cet abandon, pas d'apprentissage, pas de formation. Si l’on n'est pas bousculé par ce qui est nouveau c'est qu'on croit que l’on sait déjà, et l’on n'apprend plus.

Depuis les années d'école on a tous en nous l'idée que l'erreur est une faute. Pourtant si on ne fait pas d'erreur on n'apprend pas. L'erreur est un moment fécond de la découverte, les chercheurs en témoignent, elle permet de reconnaître et de surmonter un obstacle. L’erreur et la capacité de lâcher prise sur les acquisitions donnent la possibilité de trouver ce que l’on ne savait même pas qu’on cherchait, elles ouvrent des voies nouvelles et des réponses créatrices. Parce que la chorale est d’abord un Atelier, nous n’avons plus peur de nous tromper.

Accepter de ne pas savoir n'est pas facile, accepter de renoncer à ce qu'on croit savoir, encore moins. Mais la récompense est à la hauteur de l'effort. Et certains soirs de répétition, le miracle se produit qui vaut tous ces renoncements, tout ce travail d’artisan, toute cette confiance dans la voix qui nous conduit et qui nous accompagne, celle du chef de chœur, celle des autres, et la nôtre, celle qui s’est installée en nous. J’aime tout particulièrement ce moment où lorsque dans le premier contact avec un chant nouveau, après un travail qui exige que nous nous abandonnions, sans partition ni texte, à ce qui nous arrive, ce que nous vivons comme un prodige se produit. En quelques minutes, les quatre pupitres dans lesquels se regroupent les voix, chantent ensemble, jubilent de cette coïncidence de leurs voix distinctes, comme si chacun en créant la sienne créait aussi celle des autres et s’émerveillait de produire cette vibration sans pareille, comme s’il y avait là, dans le chant le plus profane, une part de sacré.

Extase de brève durée. Il faudra ensuite la reconquérir au fil des répétitions. Mais au delà de ces répétitions, il y aura le sentiment d’avoir créé ensemble une partie de l’œuvre, et d’éprouver pour cela une juste reconnaissance du pouvoir de la musique qui accorde nos voix distinctes. Expérience précieuse dans le monde contemporain, que les hommes et les femmes, peuvent faire à tous les âges de la vie.

Chanter ensemble est un travail, pour une part conscient et assidu, mais pour une autre le processus de transformation du son en chant se fait en nous à notre insu. A notre insu mais en relation avec le travail des groupes (des pupitres) et entre les groupes (les pupitres) qui forment l’ensemble. Le groupe-pupitre soutient la voix de chacun, il la conforte, et celle qui s’égare ou doute d’elle même se conforme à celle des autres, elle s’étaye sur elles par effet de groupe. Dans un atelier de chant choral nous chantons à l’unisson dans chaque pupitre et la différence crée la polyphonie avec les autres pupitres pour former un ensemble. Nous sommes membres de deux groupes : dans chaque petit groupe il se développe une microculture spécifique qui assure à la fois les liens entre les membres d’un pupitre et la singularité de la voix qui lui est propre et qui devra s’affirmer face aux autres, en relation avec elles. En cela chanter ensemble en polyphonie est un travail du vivre ensemble.

Il n'y a pas si longtemps, lors de réunions familiales ou amicales, on chantait. On ne pensait pas que le chant était réservé à des professionnels. Et cette joie de chanter ensemble permettait le partage d'émotions de différentes natures qui liait le groupe, l'inscrivait dans une mémoire que l'on retrouve intacte parfois un demi siècle plus tard. Qui ne se souvient avec émotion des chants partagés dans les groupes de jeunesse ? Dans d'autres cultures on trouve encore cette facilité et ce bonheur de chanter ensemble, toutes générations confondues.

René Kaës

19 janvier 2017


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